Le retour de la « Grande Sécu »

Après deux ans de vie sociale au rythme du coronavirus, qui a révélé un grand nombre de dysfonctionnements dans l’organisation du système de santé, l’heure est venue d’examiner le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022. 

L’ occasion d’entendre une litanie tristement familière : déserts médicaux, difficultés d’accès aux soins, filière visuelle annoncée et toujours pas amorcée… Le Gouvernement tente de passer en force : accès direct à certains professionnels de santé – kinés, psychologues… – sans passer par la case du médecin généraliste censé gérer le « parcours de soins » ; délégations de tâches permettant aux orthoptistes de prescrire des corrections sans passer par la case ophtalmo… De quoi susciter la colère des professionnels concernés qui s’étonnent d’un manque de concertation… 

Dans le même temps, le Sénat a réalisé une seconde injection dans le cœur des Ocam en doublant la taxe Covid « au regard des économies réalisées par ces organismes pendant la pandémie », la fixant à 1 milliard d’euros pour 2021, au même niveau qu’en 2020, . Il est vrai qu’en dépit des demandes de « modération », les assureurs ont annoncé d’augmenter très fortement les contrats, entre 7 à 10 % selon la Fédération des mutuelles indépendantes, quand l’inflation n’est que de 1,5 % en 2021.

Le système de santé à deux vitesses s’enkyste, chacun le perçoit confusément quand il attend près de 80 jours en moyenne pour obtenir un rendez-vous chez l’ophtalmo… 

Et on entend parler d’un rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie qui agite le spectre d’une grande Sécurité sociale, créant un seul et unique organisme de remboursement pour un même soin. 

L’idée déjà promue par certains pour un système plus solidaire, ne peut qu’irriter les mutuelles. Florence Jusot, économiste de la santé, déclare au Progrès : « Leur avenir, c’est la difficulté politique de ce choix. Elles auraient toujours une place pour le remboursement des dépassements d’honoraires ou les quelques soins qui resteraient mal remboursés par la sécurité sociale, ou qui ne sont pas reconnus comme la diététique ou l’ostéopathie. Les mutuelles auraient évidemment une part de marché plus faible et seraient les perdants de ce choix ».

Pour les assurés, ce serait au contraire un système plus simple et plus lisible. À n’en pas douter, le feuilleton de l’automne à suivre sur Public Sénat !

Liberté, égalité, made in France ?

À l’occasion d’une séance de questions à l’Assemblée nationale, le sénateur Xavier Iacovelli (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants), élu des Hauts-de-Seine, s’est ému que le dispositif du 100 % santé ne bénéficie pas complètement au made in France. Low cost, sûrement pas français, a-t-il insinué, souhaitant « favoriser la production française et soutenir nos PME », via un label « visant à mieux informer nos concitoyens et à les éclairer dans leurs choix ».

Cette auto-qualifiée « piste de réflexion intéressante » a suscité une molle réponse de la part du ministère de la Santé, arguant tout de même d’un bilan positif, « 48 % des prothèses dentaires posées entre janvier et septembre 2020 sont incluses dans le panier « 100 % santé » sans reste à charge pour les Français », a-t-il bataillé sans préciser l’origine des produits. « Certaines [prothèses] sont d’origine française. Les verres sont traités antirayures, antireflets et amincis. Il ne s’agit absolument pas de matériel low cost ou au rabais. »

Le Groupement des industriels et fabricants de l’optique estime quant à lui exorbitant « le prix payé par la filière de fabrication pour le succès de cette réforme, alors que ces verres et ces montures 100 % santé ne sont pas fabriqués en France ». Lors d’une réunion du comité de suivi de la réforme le 15 septembre dernier, il a évoqué « la difficile quadrature du cercle pour un gouvernement récemment engagé en faveur de la relocalisation des capacités de production en France, notamment s’agissant des industries de santé ».

Ce 100% santé, ce reste à charge zéro, ce « raque zéro », est-il une reforme compatible avec les attentes de chacun : patients, professionnels de santé, mutuelles, réseaux, industriels et l’État ?
NON !
Pour citer Mendès France (on a les références de ses artères…) : « Gouverner, c’est choisir, si difficiles que soient les choix. Choisir, cela ne veut pas dire forcément éliminer ceci ou cela, mais réduire ici et parfois augmenter ; en d’autres termes, fixer des rangs de priorité. »

Ainsi on ne peut que se réjouir du départ en fanfare du 100% santé dans le secteur de l’audition, une étude Harris interactive pour l’UFC-Que choisir et le réseau Santéclair, citée par le sénateur Iacovelli, a montré que 50 % des ventes d’appareils auditifs réalisées en janvier et février 2021 (dès leur intégration dans le dispositif) ont porté sur des offres sans reste à charge.  
On sabre le champagne d’un coté, soupe à la grimace de l’autre… Quel est la provenance des appareils de classe 1 auditif ?
La question est légitime et attend une réponse circonstanciée des pouvoirs publics que ce soit en audio, optique ou dentaire.
Les origines des produits multiples, les labels nombreux : « Made in France », « Origine France Garantie »… doivent être explicites pour le patient citoyen et contribuable.

La liberté d’un choix avisé et responsable, c’est ce que nous attendons de notre système de santé.

Et Bonne mutuelle !

Ça y est : à partir du 1er janvier, l’offre 100% Santé optique est disponible.Selon un communiqué de presse du ministère de la Santé, on se félicite que « dans ce cadre, changer de lunettes sur prescription médicale sera totalement remboursé » et que l’offre sera « de qualité » avec des montures « répondant à tous les besoins de correction visuelle et présentant de bonnes performances techniques (amincissement, verres anti-rayures, verres antireflets). »

Le ministère précise que chacun pourra composer ses lunettes, choisir des verres 100% santé et des montures plus chères qui dans ce cas, seront remboursées dans la limite de 100% pour la monture. Et là, c’est un peu le drame. D’une part, on a vu s’amonceler des menaces dans la presse qui s’intéresse aux sous des Français (mais what else ?, en cette période de vaches toujours désespérément maigres si on en croit la lassitude qui s’est exprimée sur les ronds-points et ailleurs, week-end après week-end de cette très longue année). Du style, exercice de maths (Capital, 18/12) :

« Sachant que le coût médian d’une monture est de 135 euros selon les calculs du ministère de la Santé, une monture sur deux induira un reste à charge supplémentaire d’au moins 35 euros à compter de l’application de la réforme. Si la monture est évaluée à 200 euros, ce sont 100 euros qui resteront à charge pour l’assuré, deux fois plus qu’avant la réforme. En revanche, rien ne change pour les montures allant jusqu’à 100 euros. »

D’autre part, le 100% ne s’appliquerait pas à tout le monde, déplore le groupe All, centrale d’achat qui fournit des lunettes à plus de 2000 opticiens indépendants, mais aux personnes qui bénéficient d’un contrat responsable (quasiment tout le monde) ou la nouvelle complémentaire santé (plus de 10 millions de personnes). Et de fustiger un système qui les empêcherait de conseiller les montures les plus chères et les verres made in France. 

Ce pays n’est pas raisonnable. D’un côté on râle parce que le système n’est pas universel, de l’autre chacun défend son pré carré… Par ailleurs, tous les opticiens doivent désormais présenter un devis double, comportant au minimum un équipement 100% Santé. Et là, tout le monde s’applique à démontrer que c’est très très compliqué. Comme nous vous l’expliquions en novembre, de histoires de codes viennent embrouiller la volonté de simplification affichée par l’équipe gouvernementale tous azimuts. Une réunion du comité de suivi et une publication claire comme de l’eau de roche de la DGCCRF plus tard, les choses se dessinent. En cette période de trêve des confiseurs, restons zen, nettoyons vos lunettes et regardons les choses avec un peu de recul…

Alignement des astres en 2022

Objectif « Zéro délai en 2022 », tel est le cri du cœur du Snof, principal syndicat des ophtalmologistes qui constate, avec une étude réalisée par le CSA, qu’il faut encore attendre 43 jours en 2018 pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste. « Zéro délai » pour « zéro reste à charge », on peut penser que les astres s’aligneront en 2022. 

Rappelons que durant l’année 2016-2017, le délai moyen pour voir un ophtalmo était de 66 jours. « Cette amélioration significative des délais de rendez-vous a été obtenue grâce à une implication sans précédent des ophtalmologistes. Des mesures complémentaires comme le développement de l’exercice en sites secondaires ou l’optimisation des agendas via la prise de rendez-vous en ligne devraient encore soutenir la dynamique sans démédicalisation, a indiqué le docteur Bour, président du Snof, dans un communiqué de presse.

Premier facteur de succès : la prise de rendez-vous en ligne est en effet de plus en plus courante et permet aux patients comme aux professionnels de mieux gérer leurs agendas. Le Dr Bour commente : « Nous sommes convaincus que l’optimisation de la gestion des plannings est un levier déterminant pour l’amélioration des délais : 3 à 10 personnes par jour ne viennent pas à leur rendez-vous… c’est un vrai gâchis ! Avec la moitié des praticiens libéraux ayant un site de prise de rendez-vous en ligne, l’ophtalmologie est une spécialité leader en la matière. Le potentiel de développement est encore important : nous avons pour objectif que les 3/4 des cabinets soient équipés d’ici deux ans. »

Que de défis à relever ! Que 2022 sera belle !

En attendant, le cabinet Deloitte a questionné les patients sur leurs attentes en matière de santé. Bizarrement, ils sont moins optimistes. Plus de la moitié d’entre eux craint que la réforme 100% santé amène une hausse des cotisations (58%) et 30% s’attend à une dégradation de la qualité des prestations.

Et ces Français, ces indécrottables conservateurs, ne veulent pas changer leurs habitudes de consommation pour coller au panier standard. Ainsi, aucun changement à attendre de 67% d’entre eux en matière dentaire, 66% pour ce qui concerne l’optique.

Améliorations d’un côté, angoisses de l’autre. En attendant, il faut chausser de bonnes lunettes pour déchiffrer le diable dans tous les détails de cette instruction N° DSS/SD2A/SD3C/SD5B/SD5D/2019/116 du 29 mai 2019 relative aux contrats d’assurance maladie complémentaire responsables et qui précise le contenu du nouveau panier de soins. Non, ne nous remerciez pas, c’est cadeau !

Évolution, pas révolution…

Ce n’est pas un poisson d’avril… La nouvelle convention dentaire entrée en vigueur le 1er avril, jour de fake news tous azimuts, marque un premier pas vers le remboursement intégral des prothèses promis pour le 1er janvier 2021. Vous vous y perdez dans tous ces premiers ?

Reprenons : en juin dernier, la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD) et l’Union dentaire ont signé avec l’assurance maladie un copieux texte de 147 p. visant à « rééquilibrer, dans la durée, l’activité des chirurgiens-dentistes dans le sens d’une valorisation des actes conservateurs et d’une stratégie fondée sur la prévention et l’accès aux soins dentaires », dixit la Sécurité sociale.

En clair, quatre axes sont définis : revaloriser les soins dentaires (entre 40 et 60%), tout en créant des plafonds pour 70% des actes prothétiques, qui devraient être à terme être remboursés intégralement (c’est là qu’on retrouve notre reste à charge zéro). La prévention et la prise en charge des populations plus fragiles constituent les deux derniers axes de la convention.

Concrètement, les prothèses dentaires du panier de soins 100% Santé, notamment les couronnes céramo-métalliques jusqu’à la première molaire incluse, se voient appliquer les premiers plafonds, soit 530€. Celles-ci passeront à 500€ maximum au 1er janvier 2020, date à laquelle les complémentaires santé intégreront la prise en charge intégrale.

Certains soins seront également mieux remboursés MAIS d’autres actes vont augmenter. « En acceptant le plafonnement des tarifs, nous avons fait des efforts pour les patients. C’est pourquoi nous allons augmenter les prix de certains soins », a déclaré Thierry Soulié, le président des Chirurgiens-dentistes de France.

Ce qu’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre… Pour certains dentistes, loin de clarifier le paysage, cette convention préfigure une nouvelle complexité : « Établir un devis pour un patient va devenir un véritable chemin de croix : trouver les bons codes, traiter les retours des mutuelles en fonction de leur statut d’assuré sans compter ceux des patients qui n’y comprendront rien… Le choc de simplification tant espéré n’aura évidemment pas lieu, c’est même le contraire qui se produira. » prédit le Dentalist.

Loin de nous l’idée de jouer les oiseaux de mauvais augure ! Et puisque les professionnels se forment aux arguties de ce nouvel outil, il peut être utile d’y jeter un œil…

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